VI
Comme dans un rêve
Il y a peu de monde en boutique aujourd’hui. Katsuo conseille une jeune femme. De son côté, Heathscleef étiquette et range quelques articles en se dandinant sous le flow énergique de Speech Debelle et son « Spinnin’ » tout en rythme.
L’établissement est exigu. Il y fait bon. L’ambiance colorée is the new black! Excitation de la rétine ? Assurément ! Luminosité orgiaque ? Indéniablement ! C’est l’apothéose. Expérience jouissive avec pour climax, au-delà de l’enchantement, un véritable orgasme visuel. C’est le rendez-vous des chalands où le bouche à oreille fonctionne à merveille. Bearfoot est un endroit insolite. Un joli foutoir, pour le décrire à la va-vite, désuet et sophistiqué à la fois, dans lequel on y rencontre parfois des personnalités de la télé et du divertissement. Les gérants ont laissé libre leurs employés, concernant la décoration ; du moins pour certaines idées. On trouve ici, une reproduction géante et tout en relief de l’acteur Luis Guzmán dans une impression aux couleurs hyper saturées. Un grand cadre animé simule les mouvements, tout en sensualité, des lèvres rouge aniline de Gina Gershon, souhaitant la bienvenue à tout nouvel entrant ; quand certaines langues ne se seraient pas privées d’affirmer que s’il n’y avait personne pour les brider et persifler, nombreux auraient été les hommes à s’y ruer volontiers, pour les embrasser. Et parmi les femmes ? A pareille invitation, eh bien certaines ne restaient pas insensibles. Ailleurs, avec la méthode en trompe-l’œil, on a le droit à une saisissante grande affiche, en noir et blanc, de la chatte punk de l’espace TAMALA 2010, qu’on aurait cru incrustée à même le mur, accolée en symétrie au portrait monochrome de Béatrice Dalle. Sur un autre, comme si elle permettait un véritable accès direct vers un autre monde, une scène carnavalesque, haute en couleur sur poster grand format, invite à participer et à se mêler à la foule sur Bourbon Street, alors en pleine effervescence un jour de mardi gras. Un peu plus loin, une grande photo satellite, provocante, de la planète rose est confinée dans un plexi. La Terre rose comme l’intérieur d’un vagin. Chaude matrice ! Petit clin d’œil à celle qui nous a enfantés : la plus belle des planètes Mer. Fragile boule terraquée. Notre unique foyer. Inestimable présent suspendu dans l’immensité de l’obscure espace-temps. Sur une peinture à l’huile que Dalí n’aurait pas reniée, divers écrans plats et téléphones mobiles en fin de vie, indolents et avachies sur des monticules ou quelques barres de supports métalliques, semblent psalmodier comme un air. L’ère du recyclage ? Qui sait ? Sur une étagère, trône une reproduction époustouflante faite de cire, à l’échelle ¼ de Lady Armanoïde et de COBRA en pleine action, veste au vent, armant son redoutable et légendaire spychogun. Non loin, sur une autre en contrebas, différentes sculptures boisées de plus petites tailles, représentant les chasseurs de prime Spike Spiegel, Faye Valentine, Jet Black, l’étrange petite demoiselle Ed Wong « trucmuche, machin-chouette ou… Françoise ! » (accompagnée de Ein, son fidèle Welsh Corgi Pembroke), du COWBOY BEBOP, toisent quiconque pénètre les lieux et semblent intimer par la seule pensé, de fournir une mission financièrement intéressante, someday, somewhere ! Par-là, une énième reproduction sur poster, d’un Basquiat pour le petit côté intello-chic !
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La musique coule à flot dans la petite boutique. Les vinyles se succèdent de manière ordonnée selon une liste de lecture programmée sur la platine, avec Chungking et la suave reprise « Les Fleur » de Minnie Riperton, suivie d’une version de « Up with people » de Lambchop, revisitée par Zero7, qui enveloppent automatiquement d’un charme onctueux toutes personnes qui se trouvent en ces lieux.
C’est alors que se déroule sous ses yeux… une scène rocambolesque. Katsuo, dans des efforts exagérés de galant homme, s’est subitement mué en masseur expert. Ses doigts glissent délicatement sous la voûte plantaire d’une cliente à qui il présente un nouveau modèle de chaussures et qui a tout l’air d’apprécier la situation. Elle manifeste d’ailleurs son approbation par des rires complices et étouffés. C’était comme si la cheville affriolante exerçait sur Katsuo, un puissant magnétisme. Cependant, ce dernier paraît hésiter quant à la suite à donner à cette affaire… Toujours est-il ? Le pied, comme objet de désir, est bien là, entre les paumes de son collègue. Il est vrai que les escarpins choisis par Katsuo, flattent outrageusement les longues jambes fuselées de la jolie jeune femme. Heathcleef n’avait pas présagé l’adorateur exacerbé de pieds féminins qui sommeillait en Katsuo. Celui-ci avait-il raté à ce point sa vocation ? Dans ce cas présent, il ne fallait pourtant pas chercher bien loin quant à une probable reconversion professionnelle. Une reconversion en tant que masseur. Un masseur de pieds de femme, exclusivement ! Si tant est qu’une telle profession existe.
Quelle journée ! Scène surréaliste en tous points, d’autant que le niveau s’élève ! Attention ! Aïe ! Alors qu’il est entrain de lui pétrir le coussinet adipeux métatarsien, Katsuo n’est maintenant pas loin de porter le fameux pied à ses lèvres, de l’embrasser carrément ! De le…