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IX

Némésis

 

La pendule accrochée au mur indique vingt-deux heures passées et la lueur nocturne entame discrètement son emprise sur la cité. Toutes les places en terrasse sont déjà investies. André se sent moyennement soulagé lorsqu’enfin, il aperçoit Meylee. Il se lève et lui fait un signe de la main.

« Je te remercie d’être venue.  Tu es ravissante… Je vois que tu ne manques pas de courtisans, maugrée-t-il au sujet du petit bouquet de fleurs avec lequel Meylee, sans vergogne, se présente devant lui.

         — Que veux-tu André ? Franchement, qu’avais-tu à me dire de si important qui ne pouvait être dit au téléphone, demande-t-elle sans détour, après avoir fait la bise.

        — J’avais très envie de te revoir », lâche André pour seule réponse. S’il sourit, son regard méditatif ne parvient pas à masquer son inquiétude. « Tu veux boire quelque chose ?

         — Un daïquiri s’il te plait ».

 

L’endroit semble aussi cosmopolite que le design intérieur, dans un genre très contemporain, est stylisé. Dans des tons chauds et tamisés, les murs rouge bourgogne sont illustrés de lettrages imposants et en relief, de différentes tailles et de teintes multicolores, tantôt verte, tantôt jaune, orange ou rouge, mettant en lumière pléthore d’auteurs, d’artistes et autres intellectuels de l’époque actuelle et passée, pour un effet visuel plaisant. Le Café Jade, situé en plein quartier Saint-Germain-des-Prés, attire aussi bien les connaisseurs et les habitués que les touristes et autres allochtones avides ou curieux, tous séduits par l’esthétique du lieu. En dépit de la difficulté, André a réussi à dénicher à la fraîche, une table non loin de l’entrée, lui permettant de scruter une arrivée où l’attente lui a paru être une éternité, pour celle qui fait battre son cœur.


Aux platines, le DJ se lâche littéralement sur le morceau bien balancé de la surprenante Niko avec son « sound off!! », suivi d’un enchaînement inopiné avec l’agréable « Warm on the inside » des Crazy Penis   ̶  ou des Crazy P, selon qu’on veuille faire sa crâneuse ou son crâneur  ̶ qui colle pourtant parfaitement à l’ambiance savoureuse et douillette de la soirée. 
Après s’être trempée les lèvres dans son raffiné cocktail, Meylee se montre plus détendu.
​​

« Pour être honnête avec toi, j’ai hésité à venir. Mais depuis tes appels, je me fais du souci… Voilà ! Eh bien maintenant je suis là ! Si tu me disais vraiment ce qu’y a de si important qui nécessite qu’on se voit absolument ce soir ?

          — Tu te poses encore la question ou tu feins de l’ignorer ? », demande André. Meylee le fixe. Elle prend une profonde inspiration. Sa main gauche caresse instinctivement son front. Les yeux sont clos pour contenir une irritation qui monte crescendo. Elle souffle, exaspérée. Elle les ouvre à nouveau, semble réfléchir avant d’ajouter : « On est vraiment en train d’avoir cette discussion André ? J’ai toujours été clair avec toi. Cela ne peut plus…

       — Honnêtement, je ne t’ai pas fait venir pour me disputer avec toi, Mey », l’interrompt-il, impatient.  « Allez, sois honnête ! Dis-moi pourquoi tu es là si tout cela n’a jamais compté pour toi ?

      —  En fait, tu as l’air d’aller nettement mieux ! Idiote que je suis, j’aurai finalement dû m’écouter ! C’est tout moi ça ! Venir m’enliser dans un bourbier ! Ecoute André ! Il serait préférable que je…  

       — Non ! Préférable de rien du tout ! Ce que tu me demandes est tout simplement impossible Meylee », riposte-t-il, lui coupant la parole sèchement. « Il serait temps pour toi de faire un choix, tu ne crois pas ? La comédie n’a que trop duré.

          — La comédie ? Pardon ? Non mais je crois rêver !

         — Tu mets mes nerfs à rude épreuve, le sais-tu ? Si seulement tu le pouvais… Ecoute ! Je n’en peux plus de faire le yoyo quand ça n’est pas le silence radio avec toi.

          — André, tu te mets tout seul dans cet état !

          — Epargne-moi ce p’tit jeu, veux-tu ?

          — En fait, tu sais quoi ? C’était une erreur. Je vais m’en aller !

          — Non, reste. J’insiste… S’il te plait.

        — Ecoute André ! On en a parlé maintes fois. Tu es intelligent… Quoique là, franchement, je commence à douter », lance-t-elle. Ce qui arrache un vibrant éclat de rire à André. « Non, plus sérieusement », poursuit-elle après s’être elle-même laissée gagner par l’agitation tonitruante de son hôte. « On en est là maintenant ? On dirait ces vieux couples, où l’un provoque la dispute afin d’entretenir l’illusion d’une relation aussi médiocre soit-elle

      — Tu sais que je déteste quand tu prends cet air condescendant avec moi, réplique-t-il esquissant le sourire de ce qui semble être le reliquat de son récent éclat de rire. Une attitude en net décalage au regard de ses propos. Avec ses yeux de braise, il étudie les traits et les moindres mouvements du visage de Meylee, au moment où démarre le non moins suave et à propos « Tired games » de MJ Cole.

         — Je crois que tu me connais très mal finalement. Pour ta gouverne, je ne joue aucun jeu avec toi », réplique Meylee à son tour. Dans un éclair de lucidité, elle proteste de plus belle : « Non mais t’es sérieux là ? Je te trouve quand même gonflé de me dire ça André ! Et puis, cesse de me regarder comme ça, dit-elle en fronçant les sourcils.

        — Détends-toi. Détends-toi ma p’tite Lili », dit-il calmement en lui prenant les mains.

 

Ils échangent ainsi tous les deux, progressivement sur le ton de la camaraderie, dans une atmosphère plus apaisée, se faisant rire l’un l’autre à tour de rôle, pendant au moins dix bonnes minutes, sans se rendre compte qu’il s’est appliquer à lui-même, les conseils prodigués précédemment à son hôte.

« Je parie que tu n’as pas encore mangé », soupçonne-t-il. « Je t’invite. Tu n’as pas le droit de refuser. J’y tiens. On peut rester ici ou partir ailleurs. C’est à toi de décider. Alors qu’est-ce qu’on mange ?

         — Un dîner, vraiment ? Tout ce cinoche finalement juste pour un dîner en fait !

      — Un cinoche ? Allons donc ! La proposition est alléchante… », finit-il par lâcher de manière désinvolte après réflexion. « Ouais, pourquoi pas ? L’idée me plait assez. Mais après alors si tu veux ! Un dîner, là pour commencer la soirée, c’est ce que je te propose maintenant. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? On commande ? », demande André, sentant que Meylee est sur le point de céder.

« Juste un dîner alors. Et rien de plus !

        — Ça me convient parfaitement.

     — Hmm ! Ça ne te ressemble pas du tout ça, manifeste-t-elle par une moue dubitative.

        — On se connait, voyons ! Tu peux me faire confiance.

        — Eh bien justement André. Je te préviens…

       — Ok, ok tout va bien. Regarde ! Il fait beau. Il fait bon. C’est une belle soirée ! Alors qu’est-ce qu’on fait ? », insiste-t-il à nouveau. « Tu n’as toujours rien dit et honnêtement j’espère que tu as faim car moi je n’ai pas mangé. Alors ?

       — Eh bien ! », fait-elle dans un demi soupir sitôt mué en grand sourire. « Si je m’écoutais, je mangerai volontiers de la vache folle ! ».  

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